Manon
C'est un peu long mais c'est une nouvelle. Elle me tiens vraiment à coeur et m'a permis l'année dernière de gagner le concours de nouvelles organisé par le lycée. Bonne lecture à tous, j'espère qu'elle vous plaira.
la tite puce
"Il n'y a pas de crime parfait, il n'y a que des crimes impunis, ceux dont l'imperfection n'a pas été découverte". [Alain Demouzon]
Papa, Maman,
Je suis désolée de vous apprendre ça comme ça mais je n'ai pas le choix, si je vous avais parlé de mes projets avant vous m'auriez certainement empêché de faire ce que j'ai à faire. A l'heure où vous lisez cette lettre je me trouve certainement en prison pour le meurtre de Thomas Anderson. Je vous demanderais de ne pas pleurer à cette annonce car si je suis là où je suis c'est que j'ai choisi d'y être. L'homme que j'ai tué était le violeur et le tueur de Manon Dervaux, je sais que ce nom vous dit quelque chose et Nath pourra vous éclairer sur ce point. Ne lui en voulez surtout pas car il a tout fait pour m'empêcher de faire ce que j'ai fait mais ma volonté a été plus forte. Ce geste que j'ai fait donc, je ne l'ai pas uniquement fait pour Manon mais aussi pour Valentine qui, comme vous le savez, comptait beaucoup pour moi, et même plus que ce que vous vous l'imaginiez. Je sais que vous tenez énormément à moi, au moins autant que ce que je tiens à vous mais je n'en pouvais plus. Aujourd'hui donc je suis en prison mais dans quelques semaines je serais morte. La vie sans Valentine n'est pas vraiment une vie et la seule chose que me faisait tenir était de me dire que je pourrais la venger mais hélas j'ai échoué et c'est pourquoi j'ai décidé d'aller la rejoindre. Je vous demanderais de ne pas parler de cette lettre aux policiers qui vont sûrement venir vous voir d'ici peu ni de mes intentions de mettre fin à mes jours. Je vous aime tellement mais déjà que ma vie n'était pas simple ici à la maison à cause du souvenir de Valentine, si en plus je dois passer un long moment derrière les barreaux je ne tiendrais pas. Je n'ai rien à faire avec des criminels ni avec des malades mentaux, j'étais consciente de mes actes à chaque entaille que je faisais dans sa peau, à chaque cri qu'il poussait, à chaque goutte de sang qui tombait sur le lit. Dites à Nathan qu'il me manquera énormément et que, s’il le peut, il aille poser un bouquet de fleurs sur la tombe de Manon de temps en temps.
Mille bisous étoilés
Votre fille qui vous aime.
1
Sept heures du soir, mardi, le
soleil se couche lentement derrière la colline qui surplombe la maison de
Lucie. C'est le moment de la journée qu'elle préfère, celui où elle s'assoit
sur sa fenêtre, les jambes dans le vide, et regarde la vie, ou plutôt l'absence
de vie, de l'endroit où elle habite depuis sa plus jeune enfance. Il fait bon
en ce milieu de mai et la douceur du soleil sur sa peau lui rappelle tous les
bons moments qu'elle a passé ici avec ses amies et son frère, Nathan. Une brise
légère s'engouffre dans sa chevelure, faisant flotter ses longues boucles d'un
noir profond autour de son visage pâle où se devinent quelques taches de
rousseur logées sur le haut de ses pommettes et sur les ailes de son nez légèrement retroussé. Les nuances de la
lueur du soleil donnent des reflets allant du rose à l’orange aux quelques
nuages qui se trouvent dans le ciel. Elle reste là à les admirer un petit
moment pendant lequel elle oublie tout, ses soucis, ses parents, sa chambre,
jusqu'à son existence même et se laisse transporter par un sentiment de douce
mélancolie qui la met dans une sorte de transe envoûtante. Elle regarde le
chemin qui vient du sud, traversant la forêt, arrivant devant chez elle et
repartant en direction du village, qu'il traverse en passant par la place de
l'église et remontant jusqu'au cimetière communal de Saint-Roche, avant de
disparaître sur l'autre flan de ce que, plus jeune, elle appelait la bosse de
la Terre. Tout autour du village s'étendent des kilomètres de champs de
tournesols qui vont se perdre jusqu'à l'horizon, et cela dans n'importe
laquelle des directions où elle regarde. Alors que son regard est perdu dans la
contemplation de la forêt qui cache en partie le cimetière et que sa chaîne
stéréo joue les trois derniers accords de "sweet dreams" de Marylin Manson et commence ceux moins
mélodieux de "détruis-moi", sa mère l'appelle du rée de chaussée et
lui demande de descendre l'aider à préparer les plats et à mettre la table
avant l'arrivée de son père et de son frère, qui se trouvent tous les deux respectivement
au travail et à un match de basket. Sortie de sa torpeur, Lucie se concentre
quelques instants pour donner une réponse compréhensible à sa mère mais
n'arrive qu'à balbutier un "j'arrive" maladroit mais qu'elle veut le
plus audible possible. Le temps de reprendre complètement ses esprits après ces
quelques instants d'absence, elle saute de la fenêtre à l'intérieur de sa
chambre, le bruit de ses pieds atténué par le tapis et se dirige lentement vers
la porte. Au passage, elle coupe sa chaîne qui continuait à laisser s'échapper
la voix tantôt mélodieuse, tantôt étrange de Candice, la chanteuse du groupe
qu'elle vénère plus que s’ils étaient des dieux, et dont les photos recouvrent
en partie les murs et le plafond de sa chambre.
Arrivée dans le couloir, elle
dépasse la porte de la salle de bain, jète un coup d’œil dans
"l'antre" de son frère dont la porte a mal été refermée et descend
d'un pas plus léger les marches de l'escalier une à une. Enfin dans l'entrée,
elle court presque à la cuisine car sa mère, ayant besoin d'elle plus que
jamais, la prie de se presser un peu parce que ça fait, soit disant, près de
deux heures qu'elle l'a appelée. Ses pieds nus glissent sur le sol comme ils
auraient glissés sur de la glace et elle manque de s'étaler au milieu de la
cuisine, rattrapée de justesse par sa mère qui se trouvait au bon endroit au
bon moment à cet instant là. Elles rient toutes les deux pendant que Lucie se
rétablit sur ses pieds et aide sa mère à terminer le repas. Elle finit de
mettre la table au moment où les deux hommes de la maison passe le seuil de la
porte en criant qu'ils meurent de faim et ne rêvent que d'un délicieux repas.
La conversation va de bon train, on parle du match de Nathan puis de la journée
de travail de Louis, le père de Lucie, et enfin de la chute qu'elle aurait
faite mais qui avait été évitée de justesse. Le repas se passe bien, jusqu'au
moment où, la mère de Lucie, pensant bien faire, commence à parler de son
principal problème.
« -
Dis-moi ma puce, quand est-ce que tu comptes remettre le nez dehors, retourner
au lycée, voir tes amis, reprendre une vie normale ?
-
Maman, s'il te plait, ne me parles pas de ça, c'est pas le moment.
- Mais
ta mère a raison Lucie, ce n'est pas normal qu'une fille de ton âge reste à la
maison sans arrêt, ne sorte plus, ne prenne pas de cours comme les autres
adolescents. Qu'est ce que ça sera quand tu seras plus grande, tu y as pensé ?
-
Laissez la tranquille, vous voyez bien que ce n'est pas le bon moment pour
parler de ça, je me trompe peut-être mais après ce qu'elle a vécu, je trouve
normal que Lucie est peur de sortir. Je ne dis pas qu'elle doit passer sa vie
enfermée mais laissez-lui du temps.
- On
lui en a laissé du temps, plus qu'il n'en faut. Même la psychologue ne comprend
pas que son traumatisme dure aussi longtemps.
- Ma
psy est incompétente, j'ai lu beaucoup de choses sur des sites médicaux qui
disent que ce que j'ai vécu peut mettre plusieurs années à s'effacer.
-
Qu'est ce qui te permet de dire ça ! Ce n'est pas parce que trois charlatans
ont marqué sur une page de site débile ce qui t'arrange que tu dois te
permettre d'insulter cette femme qui fait tout pour t'aider du mieux qu... »
Lucie ne lui laisse même pas le temps de finir sa phrase. Sa colère est telle qu'elle se lève, bouscule la table en faisant tomber au sol la plupart de la vaisselle qui se trouvait dessus, sort en trombe de la cuisine, récupère ses chaussures dans le placard et sort, les yeux brouillés par des larmes de rage. La tête baissée, les poings serrés à s'en faire mal aux articulations, Lucie marche. Elle pense avoir pris le chemin de la forêt mais elle n'en sait rien et ses pensées, interrompues par ses montées de colère, n'arrivent plus à être cohérentes. Elle arrête alors de vouloir se concentrer sur quelque chose et se laisse envahir par ce sentiment si familier qui remonte du plus profond de son être et qu'elle connaît pour l'avoir souvent ressentie ces quatre dernières années. Elle marche toujours, suivant une route qu'elle n'est pas sûre de connaître pour aller à un endroit qu'elle n'est pas sûre de connaître non plus. Elle avance ainsi pendant quelques minutes, ne sentant pas l'air se rafraîchir, ne voyant pas le soleil rose se coucher devant elle, ne se rendant même pas compte que le chemin, jusqu'à présent plat, commence à monter. Lorsque Lucie sort de sa colère, elle se rend compte de deux choses qui la surprennent. La première, elle a mal à l'intérieur des paumes et ne sait pas encore pourquoi, la seconde est qu'elle se trouve devant la grille du cimetière.
la suite prochainement...